Voici les marque-pages de mai et d'août du calendrier reçu de MITOU (peinture de Philippe Vandenberghe)
Un petit conte breton pour les accompagner
L'horloge arrêtée
Un jour le vieux Quiniou de Fouesnant vint à trépasser. Ses biens, comme il n'avait pas de descendance directe, allèrent intégralement à ses neveux, qui décidèrent de s'installer dans sa chaumière.
Mais les gens sont souvent bien ingrats. Même à l'égard des vivants. Alors vis-à-vis des morts ! Pourtant, en ce temps-là, il était de coutume que les nouveaux époux se présentassent aux ancêtres défunts qui étaient eux aussi invités à la noce. Aussi le comportement des neveux de Quiniou paraissait d'autant moins excusable au mort comme à la communauté. A peine s'étaient-ils installés dans ses meubles qu'ils oublièrent le soir un De Profundis à sa mémoire. Comme ils négligèrent sa tombe qui fut bientôt la proie des mauvaises herbes, des ronces et des orties.
La Toussaint bientôt arriva. Et la fête des morts, cette fête très particulière à laquelle on laissait pour les défunts du clan de hautes piles de crêpes dans la cheminée, un pichet de cidre et un autre de lait ribot, et dans l'âtre, la plus belle bûche que l'on avait trouvé. Hélas si les neveux allèrent prier à l'église du bourg pour la mémoire de leurs propres parents, ils oublièrent, une fois encore, celle du vieux Quiniou à qui pourtant ils devaient tant.
Ils rentrèrent après les vêpres à leur chaumine pour apprendre, de la bouche de la vatez (servante) que l'horloge de la pièce unique, celle à qui le vieux Quiniou tenait comme à la prunelle de ses yeux et qui était constitué des meilleurs rouages du canton, avait cessé de battre les heures. Les époux se regardèrent avec de grands yeux, trouvant cette panne bien étrange. Mais après avoir disposé consciencieusement sur la nappe de la grande table de buis les mets pour l'Anaon (les âmes) ils s'en allèrent coucher sur la balle d'avoine de leur lit-clos.
Kreizteiz-hanter, qu'on nommait aussi avec un peu d'affection espiègle le "médecin de l'heure", convoqué, ne trouva pas la panne.
-"Le mécanisme est en parfait état de marche, fit l'horloger, en soulevant son chapeau à guides pour se gratter le front. Je ne comprends vraiment pas ce qui lui arrive. C'est comme si..."
-"Comme si ?" interrogea Budoc, le nouveau maître des lieux.
-"Comme si...Comme si...elle...boudait. Ces machines-là ont parfois des humeurs qui échappent totalement aux hommes."
Ce soir-là, toute la maisonnée alla se coucher bien tristement. Non que l'horloge fût absolument nécessaire à leur vie de paysans habitués à jauger le temps à la position du soleil. Mais le tic-tac de son gros coeur qui avait cessé de battre, peut-être définitivement, leur manquait cruellement. Comme si la chaumière avait été soudain privée d'âtre et de feu.
Le lendemain, Soaz, la vatez, eut une pensée pour le vieux Quiniou et s'en ouvrit au maître.
-"Il y a bien longtemps, Budoc, que nous n'avons fait une prière pour votre oncle..."
-"Tu as raison, Soaz, fit Budoc. Récitons donc un bénédicité à son intention."
A peine Budoc, sa femme et la servante s'étaient-ils agenoullés pour dire leur prière, l'horloge se remit à marcher. Comme si elle s'était réveillée après un long sommeil. Ou comme si elle avait ressuscité après un séjour dans l'enfer froid.
Livre "Il était une fois la Bretagne" de Thierry Jigourel
Et comme il est question de chaumière sur les marque-pages et dans le conte, je vous envoie la prochaine
fois visiter un joli village de chaumières bretonnes non loin de chez
moi, à Kerascoët