En 2017, avait eu
lieu au musée breton de Quimper, une exposition sur de vieilles
affiches touristiques bretonnes. Ces deux marque-pages sont tirés de
deux de ces affiches
La bretonne, de la région de Douarnenez (recto-verso)
l'affiche
le breton (recto-verso)
l'affiche
L'alliance
Bréhat, ses falaises et ses rochers de granit rouge, Bréhat découpée par la mer dans une langue de terre.
Une femme sur la falaise. Elle regarde au loin les récifs déchirés, luttant contre l'écume. Elle songe à son mari. Cela fait si longtemps qu'il est parti !
Parfois, les larmes lui viennent aux yeux. Elle ne veut pas que la mer le lui prenne, elle veut qu'il revienne, parce qu'elle l'aime, elle l'aime plus que tout au monde.
Ses voisines tentent de la raisonner :
-Rester sur la falaise, dans le vent et le froid, ne fera pas revenir ton mari plus vite, Marie.
Mais Marie Cornic n'écoute pas. Elle n'entend que le vent et la mer. La mer et le vent.
-Rentre chez toi Marie. Attendre n'est point bon. Il faut t'occuper et ne penser à rien.
Ne penser à rien, Marie ne pourrait pas. Son époux demeure au fond de son coeur, et elle ne sait que prier en l'attendant. Chaque matin, elle se rend à la messe, pour supplier Dieu de protéger son époux, chaque soir, elle va sur la falaise, pour demander à la mer de le lui ramener.
-Tu aimes trop ton mari, lui dit sa mère, ce n'est pas raisonnable. Il faut savoir ne point trop s'attacher, pour supporter l'existence.
La mère le sait, elle qui a vu écrire sur le monument des "péris en mer" le nom de ses deux garçons en-dessous de celui de leur père. Marie hoche la tête et ne répond pas.
Une nuit, Marie se réveille en sursaut au son des cloches. Mon Dieu, se dit-elle, je suis en retard à la messe.
Elle saute de son lit et s'habille vivement, puis elle court vers l'église. Elle ouvre la porte et s'arrête, stupéfaite : la nef est pleine de monde.
Marie a honte d'être arrivée si tard. Elle se glisse au dernier rang, près d'une femme qu'elle n'a jamais vu, et se joint aux prières. Mais peu à peu, elle se sent mal à l'aise : tant de monde dans l'église, malgré le froid et la nuit ? Le prêtre qui dit la messe, elle ne le connait pas. Elle regarde autour d'elle, et ne voit pas un visage familier. Elle se sent un peu effrayée. Elle baisse la tête vers son missel et se met à prier.
Mais bientôt, il se fait un mouvement dans l'église. On entend des bruits métalliques. Le quêteur ! Le bruit, c'est celui des pièces sur le grand plateau d'argent. L'homme qui fait la quête se fraye un passage à travers la foule en criant :
-Pour l'Anaon ! Pour l'Anaon ! (les âmes du purgatoires)
Il approche de Marie, il va être là. Fébrilement, Marie fouille dans ses poches, mais elle ne trouve pas un sou : elle est partie si vite de chez elle qu'elle a oublié ses pièces.
-Pour l'Anaon, répète le quêteur d'un air menaçant.
Marie se sent très malheureuse. Elle ne connait pas ce quêteur, elle ignore qui il est. L'homme qui passe d'ordinaire avec le plateau ne lui ressemble pas du tout.
-J'ai...oublié de prendre de l'argent, souffle-t-elle.
-On ne vient pas à l'office sans obole pour les âmes défuntes, gronde le quêteur. Donnez ce que vous avez.
-Je...n'ai rien...bredouille Marie morte de honte.
-Vous avez votre alliance.
Affolée, les mains tremblantes, Marie retire son alliance et la pose sur le plateau. Puis elle se sent faiblir. Elle tombe à genoux et enfouit son visage dans ses mains.
C'est ainsi qu'à six heures du matin, le recteur la trouve, agenouillée en pleurs dans son église.
-Que faites- vous ici Marie ?
-Je...j'assiste à la messe, monsieur le recteur...
Et à travers ses larmes, elle regarde autour d'elle : l'église est vide, il n'y a plus personne.
Alors, elle raconte au recteur ce qui lui est arrivé.
-C'est un mauvais rêve, console-t-il, nous allons retrouver votre alliance.
Et comme il se redresse, il voit que l'alliance est posée sur l'autel. Sa main tremble un peu quand il la rend à Marie.
-Je vais prier, dit-il simplement.
Deux semaines plus tard, on apprit que le bateau sur lequel se trouvait l'époux de Marie avait disparu en mer, et qu'il n'y avait aucun survivant. Le naufrage s'était produit à l'heure de cette étrange messe. Et c'est au moment où le quêteur avait obligé Marie à déposer son alliance sur le plateau que l'homme qu'elle aimait remettait son âme à Dieu.
Livre "Contes traditionnels de Bretagne" Evelyne Brisou-Pellen