La ville dans la nuit
Il était une fois une ville où
régnait la nuit. Il y avait des nuits de pleine lune et des nuits
remplies d’étoiles. Et quand la nuit était trop noire, on
allumait des lampes. Mais c'était toujours la nuit. Et puis voilà
qu’un voyageur arrive. Il raconte qu'il vient de loin et
qu'ailleurs il y a des villes où après les heures de nuit viennent
des heures de jour. Il raconte que le jour est si clair qu'on n'a
même pas besoin de lampes. Les gens emmènent aussitôt le voyageur
chez Monsieur le Maire. Ils veulent tous que l'on fasse venir le jour
dans leur ville.
Le maire se met à bougonner : - "Le jour, le jour ! Et où voulez-vous
que j'aille le chercher, moi, le jour ? Et puis d'abord, combien ça
coûte?"
Le voyageur répond : - "Mais, le jour
ne s'achète pas, il vient !"
Le maire fait : - "Ah ? Et pourquoi donc
n'est-il jamais venu chez nous ?"
Le voyageur répond : - "Comment le jour
viendrait-il si personne ne l'attend ?"
Le maire et tous les habitants en
restent la bouche ouverte. Ils n'avaient jamais pensé à ça !
Puis
le maire dit : - "Attendre, attendre ! Mais ... comment fait-on pour
attendre le jour ?"
Alors une petite jeune fille blonde
s'écrie en rougissant : "- Moi, je sais ! Quand j'attends une lettre
de mon amoureux, je cours à la boîte aux lettres dix fois, vingt
fois, jusqu'à ce qu'elle arrive. C'est sûrement comme ça qu'il
faut attendre le jour, comme une lettre d'amour !"
Le poète lève son doigt taché
d'encre et il dit : - "Moi, je sais ! Quand j'attends un vers, une
rime, la musique d'une chanson, je m'assieds, je ferme les yeux et
j'écoute dans ma tête. C'est sûrement comme ça qu'il faut
attendre le jour, comme un poème, comme une chanson !"
Et puis la boulangère secoue son
tablier plein de farine et elle dit : - "Moi, je sais ! Quand mes
pains sont au four et que j'attends qu'ils cuisent, je fronce le nez
jusqu'à ce que je sente la bonne odeur du pain doré. C'est sûrement
comme ça qu'il faut attendre le jour, comme du bon pain !"
Et tous, le jardinier et le maçon,
la couturière, le pêcheur et l'épicier, le peintre et la maîtresse
d'école, tous s'aperçoivent qu'ils savent comment attendre le jour.
Mais le maire bougonne encore : - "C'est
bien joli, tout ça, mais ça prendra combien de temps d'attendre ?"
Alors les gens s'écrient : - "On va
commencer tout de suite !
Et la petite jeune fille blonde se met
à courir dix fois, vingt fois, jusqu'aux portes de la ville pour
voir le jour qui arrive. Et le poète reste les yeux fermés, à
écouter dans sa tête si le jour arrive. Et la boulangère fronce le
nez pour sentir si le jour arrive. Et tous, le jardinier et le maçon,
la couturière, le pêcheur et l'épicier, le peintre et la
maîtresse d'école, tous se mettent à attendre le jour.
Et bientôt, là-bas, au bord des
toits, une minuscule ligne rose grandit, grandit, et brusquement, un éblouissant rayon d'or saute
par-dessus les toits et il éclabousse la ville de lumière.
Tout le
monde crie en même temps : "Aaaaaah !" Comme au feu d'artifice.
Mais
c'est encore plus beau que le feu d'artifice. C'est le jour qui est
venu ! Alors, pendant tout le jour, la ville entière est en fête.
Et puis, quand la nuit revient, le maire se racle la gorge et
il dit : -"Bon, eh bien voilà, demain, vous élirez un autre maire. Il
faut que désormais, sur notre ville, le jour revienne sans cesse
après la nuit. Alors moi, maintenant, je serai veilleur de nuit et
je passerai mes nuits à attendre le jour."
Et depuis ce temps-là, sur la
ville, il y a des jours et des nuits. Parfois, le soir, la
boulangère, le maçon, la couturière ou le jardinier vont faire un
petit tour dans le noir. Et quand ils rencontrent le veilleur qui
marche dans les rues avec sa lanterne, ils lui disent :
- "Eh bien, veilleur, quelle nuit noire
! On dirait qu'elle ne finira pas."
Et le veilleur répond avec un petit
sourire : -"Oh, elle finira, mes amis, elle finira ! Allez dormir. Le
jour vient et je l’attends."
Contes de Noël et de neige Edition
Bayard (contes publiés dans Pomme d'Api)