Ce week-end on passe à l'heure d'hiver ! Est-ce que ce sera pour la dernière fois ?
La vie à l'envers
Le roi Anselme III avait une pendule, mais cette pendule ne marchait pas bien. Il faut dire que les deux aiguilles ne s'entendaient pas. La grande aiguille n'arrêtait pas de se moquer de la petite. Elle lui disait toujours :
"Comme tu es petite à côté de moi !"
La petite aiguille ne disait rien et les secondes passaient, les minutes passaient. Et la grande aiguille insistait : "Comme tu es lente à côté de moi, pendant que tu fais un tour, moi j'en fais douze !"
La petite aiguille ne disait rien. Et les heures passaient. Jusqu'au jour où la petite aiguille en a eu assez et elle s'est arrêtée. Et non seulement elle s'est arrêtée, mais elle est repartie dans l'autre sens.
"Hé, tu es folle ? s'est écriée la grande aiguille, qu'est-ce qui te prends ? Arrête-toi !"
Rien à faire. La petite aiguille était vraiment décidée à retourner en arrière. Alors elle a entraîné la grande aiguille avec elle et le temps s'est mis à reculer. Il est revenu dans le passé. Dans tout le pays, c'était la plus grande confusion. Imaginez plutôt : ce matin-là, le roi Anselme III était en train de faire sa toilette. Quand tout à coup, il se dit : "C'est curieux, je suis en train de me raser alors que je viens de me raser il y a cinq minutes à peine ! Comment ma barbe a-t-elle pu repousser aussi vite ?"
Et tandis qu'il se creusait la tête pour y chercher la réponse, il s'est aperçu qu'il était à nouveau en pyjama, lui qui venait juste de s'habiller. Alors le roi a regardé par sa fenêtre et il a remarqué que le soleil, au lieu de se lever comme tous les matins, retournait se coucher derrière la colline. Cette fois, la nuit a envahi la chambre et le roi s'est remis au lit et s'est endormi.
Drôle de nuit. Drôles de rêves. Dans son lit cette nuit-là, le roi a fait des rêves qu'il connaissait déjà, et lorsqu'il s'est réveillé, c'était le soir du jour d'avant. Le roi s'est levé, il a pris son repas du soir à la place du petit déjeuner, puis il commencé sa journée à l'envers.
Et à partir de ce moment-là, tout a marché à l'envers. Le matin, le roi se couchait, pour se réveiller le soir...le soir du jour d'avant. Et les jours passaient, et les semaines passaient à l'envers. Lorsqu'on était lundi, le lendemain, c'était dimanche, et la semaine était finie. Le roi remarquait que de drôles de choses lui arrivait. Par exemple, il devait se sécher avant de prendre sa douche, mettre ses chaussures avant d'enfiler son pantalon, dire au revoir avant de dire bonjour. Et quand il lisait un livre, il commençait toujours par la fin, et pourtant il connaissait déjà le début...
Et le temps passait, les saisons passaient, à l'envers. Le roi rajeunissait. Ses cheveux blancs redevenaient noirs, ses rides s'effaçaient, et tous les ans, à son anniversaire, il avait une bougie en moins à souffler.
Le roi revivait tous les grand évènements de sa vie. Quand c'était des fêtes d'anniversaire, ça lui faisait rudement plaisir. Mais d'autres fois, c'étaient de très mauvais souvenirs. Tenez, un jour, le roi s'est aperçu qu'il devait retourner à la guerre. Lui, la guerre, il l'avait déjà faite, elle n'avait servi à rien. Alors cette fois, il a essayé de signer la paix avant de commencer la guerre. Mais ses ennemis n'ont rien voulu savoir et l'ont traité de lâche. Le roi a été tellement vexé qu'il s'est enfermé dans sa chambre.
Les années ont passé, toujours à l'envers. Le roi est redevenu un jeune et solide gaillard, mais il s'ennuyait toute la journée parce qu'il connaissait tout. De temps en temps, pour se distraire, il retournait à la chasse. Mais curieusement, quand il tuait un lapin, à peine tué, le lapin se remettait sur ses pattes et allait se cacher dans les buissons ! Le roi se trouvait alors si bête qu'il reprenait son cheval et rentrait derechef au château (à reculons bien sûr!) Quand il arrivait, il trouvait son assiette vide...car le repas était fini avant d'être commencé.
Une fois, le roi a même du se remarier avec sa propre femme, et le lendemain du mariage, ils étaient déjà séparés. Cette mésaventure l'a tellement troublé qu'il est retombé d'un seul coup en enfance. Il ne pensait qu'à s'amuser, il ne s'occupait plus des affaires de son royaume. On était même obligé de lui chanter des comptines...
Un jour, le roi est devenu si petit qu'il est renté dans le ventre de sa mère. A la fin, il est devenu gros comme un grain de riz, comme une tête d'épingle, et il a disparu complètement.
A partir de ce moment-là, c'est son père qui a gouverné, le roi Anselme II. Mais comme le temps continuait à revenir en arrière, il a du un jour laisser sa place à son propre père Anselme 1er, qui a du laisser la sienne à sa mère, la reine Anselmine.
Mais arrêtons-nous là, si vous le voulez bien. A la cour de la reine Anselmine, il y avait un savant qui essayait d'inventer la première pendule. Dans ces temps-là, il n'y avait pas encore de pendule. Quand on voulait savoir l'heure, on regardait le soleil et on disait : il est midi moins le quart.
Ce savant ne parvenait pas à fixer les aiguilles et il était sur le point d'envoyer tout promener. Alors la grande aiguille, affolée, s'est tournée vers la petite aiguille et lui a dit :
"Maintenant, arrête tes bêtises, sinon, on va bientôt finir dans la corbeille."
"D'accord, a dit la petite aiguille, mais d'abord tu retires toutes les méchancetés que tu as dites contre moi."
"Oh ! Tu sais, a répondu la grande aiguille, je disais ça comme ça. En fait je suis peut-être plus grande que toi, mais toi tu es plus importante parce que tu marques les heures."
"Bien, a dit la petite aiguille, continue."
"En fait, je fais peut-être plus de tours que toi dans la journée, mais je me fatigue beaucoup !"
"Très bien ! a répondu la petite aiguille, ça me va. Allez, on a assez perdu de temps comme ça, en avant !"
Et soudain, le savant a pu fixer les aiguilles. Et il a inventé la première pendule qui marquait le temps. Alors le temps est reparti en avant. Les années ont passé, les rois se sont succédé, et l'histoire que je vous raconte s'est arrêtée.
Quand aux aiguilles, elles ont continué à tourner, tourner, tourner...
Pepito Matéo (livre les plus beaux contes de conteurs-Syros jeunesse)