lundi 19 mai 2025

Chaumière

 

 Voici les marque-pages de mai et d'août du calendrier reçu de MITOU (peinture de Philippe Vandenberghe)

 

                       Un petit conte breton pour les accompagner


                                         L'horloge arrêtée


Un jour le vieux Quiniou de Fouesnant vint à trépasser. Ses biens, comme il n'avait pas de descendance directe, allèrent intégralement à ses neveux, qui décidèrent de s'installer dans sa chaumière.
Mais les gens sont souvent bien ingrats. Même à l'égard des vivants. Alors vis-à-vis des morts ! Pourtant, en ce temps-là, il était de coutume que les nouveaux époux se présentassent aux ancêtres défunts qui étaient eux aussi invités à la noce. Aussi le comportement des neveux de Quiniou paraissait d'autant moins excusable au mort comme à la communauté. A peine s'étaient-ils installés dans ses meubles qu'ils oublièrent le soir un De Profundis à sa mémoire. Comme ils négligèrent sa tombe qui fut bientôt la proie des mauvaises herbes, des ronces et des orties.

La Toussaint bientôt arriva. Et la fête des morts, cette fête très particulière à laquelle on laissait pour les défunts du clan de hautes piles de crêpes dans la cheminée, un pichet de cidre et un autre de lait ribot, et dans l'âtre, la plus belle bûche que l'on avait trouvé. Hélas si les neveux allèrent prier à l'église du bourg pour la mémoire de leurs propres parents, ils oublièrent, une fois encore, celle du vieux Quiniou à qui pourtant ils devaient tant.

Ils rentrèrent après les vêpres à leur chaumine pour apprendre, de la bouche de la vatez (servante) que l'horloge de la pièce unique, celle à qui le vieux Quiniou tenait comme à la prunelle de ses yeux et qui était constitué des meilleurs rouages du canton, avait cessé de battre les heures. Les époux se regardèrent avec de grands yeux, trouvant cette panne bien étrange. Mais après avoir disposé consciencieusement sur la nappe de la grande table de buis les mets pour l'Anaon (les âmes) ils s'en allèrent coucher sur la balle d'avoine de leur lit-clos.

Kreizteiz-hanter, qu'on nommait aussi avec un peu d'affection espiègle le "médecin de l'heure", convoqué, ne trouva pas la panne.

-"Le mécanisme est en parfait état de marche, fit l'horloger, en soulevant son chapeau à guides pour se gratter le front. Je ne comprends vraiment pas ce qui lui arrive. C'est comme si..."

-"Comme si ?" interrogea Budoc, le nouveau maître des lieux.

-"Comme si...Comme si...elle...boudait. Ces machines-là ont parfois des humeurs qui échappent totalement aux hommes."

Ce soir-là, toute la maisonnée alla se coucher bien tristement. Non que l'horloge fût absolument nécessaire à leur vie de paysans habitués à jauger le temps à la position du soleil. Mais le tic-tac de son gros coeur qui avait cessé de battre, peut-être définitivement, leur manquait cruellement. Comme si la chaumière avait été soudain privée d'âtre et de feu.

Le lendemain, Soaz, la vatez, eut une pensée pour le vieux Quiniou et s'en ouvrit au maître.

-"Il y a bien longtemps, Budoc, que nous n'avons fait une prière pour votre oncle..."

-"Tu as raison, Soaz, fit Budoc. Récitons donc un bénédicité à son intention."

A peine Budoc, sa femme et la servante s'étaient-ils agenoullés pour dire leur prière, l'horloge se remit à marcher. Comme si elle s'était réveillée après un long sommeil. Ou comme si elle avait ressuscité après un séjour dans l'enfer froid.

Livre "Il était une fois la Bretagne" de Thierry Jigourel

 

Et comme il est question de chaumière sur les marque-pages et dans le conte, je vous envoie la prochaine fois visiter un joli village de chaumières bretonnes non loin de chez moi, à Kerascoët




 

 

 

 


 

 

8 commentaires:

  1. Oui Mitou est douée au bout de son pinceau 🖌 et merci à toi pour ce moment de lecture
    Bises et bon lundi au soleil je te souhaite
    Rose 🌹

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    1. Ce n'est pas Mitou qui a peint, elle m'a offert ce calendrier de marque-pages représentant des peintures de Philippe Vandenbergue
      Bisous

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  2. J'ai hâte de voir ce village aux chaumières car celle-ci est déjà très belle.
    Bonne semaine printanière à toi. Bisous

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  3. De jolis marque-page ... et ce conte montre bien l'indifférence de certaines personnes vis à vis des defunts ... et parfois il suffit d'un signe pour que tout rentre dans l'ordre ...
    Lorsque nous partions en vacances en Normandie nous étions remplis devant les chaumières très typiquescomme celle que tu nous offres Lilwenna.
    Bises de mon coin ch'ti où peu à peu le soleil nous réchauffe après un week end au vent du Nord bien froid.
    Nicole

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  4. Les marques pages sont toujours aussi jolis et poétiques et j'aime aussi beaucoup la photo de la chaumière :) J'ai beaucoup aimé l'histoire de cette horloge qui boude...si les objets pouvaient ainsi s'exprimer, sans doute que les jeunes penseraient plus souvent à leurs ancêtres et à ce que ceux-ci leur ont apporté...Bisous et une douce journée (déjà bien entamée, je ne m'en sors pas le lundi matin pour rendre visite à tous mes blogs amis alors j'étale dans la journée !)

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  5. J'aime beaucoup ton histoire, il ne faut pas oublier les morts, surtout ceux qui ont pensé aux vivants!
    Bises du soir
    Mireille du sablon

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  6. Un conte à découvrir, tout comme ces jolies chaumières que je n'ai toujours vues qu'en photo , hélas, car je suis sûre qu'elles m'inspireraient.

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  7. Un conte à l'ancienne bien agréable à lire, les bretons d'un autre temps les écoutaient avec attention pendant les veillées et finissaient parfois par y croire 😀
    Gros bisous et bonne journée
    Mitou

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